Article du journal Le Monde 18 Février 2017

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La direction et les syndicats de La Poste se trouvent dans une situation sociale et juridique tout à fait inédite. L’accord sur les conditions de travail et l’évolution des métiers des facteurs, sur lequel comptent les dirigeants du groupe pour moderniser l’entreprise, a été signé par quatre organisations syndicales (CFDT, CFTC, CGC, FO-COM) en janvier. En revanche, la CGT et SUD, majoritaires ensemble dans la branche services-courrier-colis, ont informé la direction, les vendredi 10 et jeudi 16 février, qu’ils exerçaient leur droit d’opposition, jugeant ce texte « néfaste au quotidien, pour les facteurs et l’encadrement ».

Si la CGT a « pris acte » des 3 000 embauches promises en contrat à durée indéterminée (CDI) et de la promotion de 30 000 postiers, les deux syndicats s’opposent à un nouveau schéma industriel qui, selon eux, va « profondément déstructurer le métier » et imposer « une adaptation permanente des organisations du travail (…) contraire à l’objectif d’amélioration des conditions de travail ». Représentant à eux deux plus de 50 % de la branche services-courrier-colis du groupe, leur opposition aurait dû invalider l’accord. Mais ce n’est pas le cas.

Car si l’article 1 de l’accord définit le champ d’application du texte à « tous les personnels de la branche services-courrier-colis de la société La Poste SA », le périmètre retenu par la direction est plus large, au motif que l’accord n’a finalement pas été signé par le seul directeur général adjoint du groupe chargé de ces activités, Philippe Dorge, mais aussi par la directrice des ressources humaines (DRH) groupe, Sylvie François.

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Tour de passe-passe

« A partir du moment où la DRH groupe signe, c’est un accord groupe », explique cette dernière. « L’accord signé le 7 février concerne donc tous les facteurs du groupe quel que soit leur rattachement, même en dehors de la branche services-courrier-colis », dit-elle. « Or, dans l’organisation de La Poste, les facteurs d’outre-mer et de la Corse sont rattachés au réseau, qui n’est pas la branche services-courrier-colis », précise Mme François.

Ce changement de périmètre a pour effet de modifier la représentation syndicale. De majoritaires, les deux syndicats CGT et SUD deviennent minoritaires. Ils ne totalisent plus que 46,71 % des voix, ce qui ne leur permet pas d’user du droit d’opposition. Un tour de passe-passe qui n’améliorera pas les relations entre ces organisations et la direction.

« L’accord est donc valide. Et c’est une avancée importante pour les conditions de travail des facteurs et la reconnaissance de leur travail », affirme Mme François. « Le texte prévoit des promotions avec parcours qualifiants, sur la qualité de vie au travail, il limite la sécabilité (tournées instables) à trente jours par agent et par an, il met en place une procédure extrêmement précise au plus près du travail pour signaler un problème et en demander la correction », ajoute-t-elle.

Les trois mois de négociation du texte ont été accompagnés de larges débats au sein de chaque syndicat, car les enjeux de l’accord sont importants (transformation des métiers, transformation numérique) et les bouleversements profonds (malaise social). Les consultations ont été longues, que ce soit pour obtenir la signature de l’accord par FO-COM ou son opposition par la CGT.

« Nous n’allons pas renégocier »

Le procédé utilisé par la direction pour élargir le périmètre de l’accord a été aussitôt dénoncé par les deux syndicats concernés. « Le texte de l’accord n’a pas changé et le champ d’application est celui de la branche services-courrier-colis, au sein de laquelle, avec SUD, nous représentons plus de 50 % [des personnels] », réagit la CGT. La première force syndicale du groupe La Poste, qui justifiait déjà le rejet de cet accord par « l’absence de négociation loyale », appelle désormais à la mobilisation. « Nous avons fait valoir notre droit d’opposition à La Poste et demandons la réouverture du dossier rapidement », indique Patrick Lasserre, secrétaire fédéral CGT. Un rassemblement est prévu le 21 mars.

SUD, qui avait exprimé son opposition à l’accord dès le 24 janvier, n’avait pas été convié, sept jours plus tard, à la réunion au cours de laquelle s’est décidé le changement de périmètre. « C’est FO-COM qui, au moment de signer, nous a téléphoné pour nous en informer », explique Philippe Crottet, élu national SUD-PTT au comité technique de La Poste. « En référé ou sur le fond, nous irons jusqu’au bout de ce qu’il est possible de faire juridiquement, ajoute-t-il. C’est l’appréciation du juge qui examinera point par point s’il y a déloyauté dans le dialogue social. »

Pour la direction du groupe, la situation est claire : « Nous n’allons pas renégocier », affirme Mme François. Cet accord, qualifié d’« historique » par la direction, est un élément de la nouvelle stratégie qui vise à transformer cette entreprise de plus de 250 000 salariés. La confiance, toutefois, pourrait être un atout décisif pour y parvenir. Or, « dans un accord collectif, la volonté commune des parties signataires est évidemment essentielle », remarque le professeur de droit social Jean-Emmanuel Ray.


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